Droit de la nature un enjeu majeur pour la Méditerranée #2

Face à la crise mondiale climatique, à la chute de la biodiversité, à la pollution anthropique et aux projets industriels de plus en plus destructeurs, la reconnaissance de droits à la Nature constitue un des leviers nécessaires pour engager les États et les communautés d’acteurs, privés et publics, vers la transition écologique. Depuis une cinquantaine d’années des initiatives locales, nationales ou internationales, ont fait peu à peu avancer ce droit.

Entretien de Bernard Mossé responsable scientifique de l’association NEEDE Méditerranée, avec Victor David, juriste, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et membre de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie (IMBE).

# 2 Élaboration d’un droit de l’environnement en Nouvelle-Calédonie

Le bassin méditerranéen est un des espaces les plus impactés au monde par cette crise écologique. Sa protection nécessite une mobilisation de tous les acteurs impliqués et des populations concernées. Fort de son expérience en Nouvelle-Calédonie où il a participé à l’émergence d’un droit de la Nature respectueux à la fois des coutumes locales et du droit français, Victor David, chercheur en droit de l’environnement, milite pour élever la Mer Méditerranée au statut d’entité naturelle juridique afin de mieux la protéger et de la défendre juridiquement.

Il a lancé en 2022 auprès des Nations Unies une étude de faisabilité sur la reconnaissance de la Méditerranée en tant que personne juridique.

Victor David : Oui.  Par l’accord de Nouméa de 1998, les Provinces calédoniennes obtiennent une autonomie en matière de normes concernant l'environnement tout en devant respecter la hiérarchie des normes françaises : les lois organiques notamment, mais aussi la Constitution, les traités internationaux signés par la France, etc.

On avait quand même une certaine marge de manœuvre pour ne pas reprendre mot à mot le code de l'environnement français. Ça n'aurait eu aucun intérêt.

Victor David : On a essayé de concilier le droit coutumier kanak et le droit français. La population de la Province des Îles Loyauté était la plus à même de produire ce droit de l'environnement.

Victor David : Très peu à notre connaissance. Mon travail de chercheur a été justement d’aller trouver des exemples intéressants de sociétés plurielles, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. D’autant plus que ce sont des exemples océaniens : comment avaient-ils fait pour prendre en compte les valeurs culturelles aborigènes et les valeurs culturelles maories ?

VD : Oui. Mais on s’est rendu compte que les Australiens n'avaient pas fait d'efforts particuliers, sauf dans le domaine des aires protégées où les Aborigènes ont été associés à leur création et à leur gestion. Par exemple en nommant des Rangers aborigènes pour le travail de surveillance et de protection..

En Nouvelle-Zélande, l'environnement n'avait pas été le premier domaine dans lequel la culture maorie a été prise en compte, c'est venu progressivement. Donc, je dirais que la première grande manifestation, ce sont les droits protégeant le fleuve Whanganui, en 2012.

VD : Évidemment, on a eu à prendre en compte le fait que le droit français ne reconnaît pas d'autre peuple que le peuple français, et donc les valeurs culturelles propres à un peuple autochtone. Ce n'était pas évident. Il était indispensable de prendre en compte ces valeurs locales parce que finalement, ce sont ces populations qui gèrent leur environnement naturel immédiat. Et d'ailleurs, plusieurs fois, quand j'accompagnais la Province des îles Loyauté dans des réunions avec les autorités coutumières, ils me disaient : « Mais Monsieur David, on ne vous a pas attendu pour protéger l'environnement, ça fait 3000 ans qu'on le fait et que l'environnement se portait plutôt bien… ! ».

Il ne faut cependant pas faire d’angélisme : des preuves archéologiques montrent que des animaux ont disparu quand les tout premiers ancêtres des Kanak sont arrivés… C’est comme le dodo à l’Île Maurice, cet oiseau qui ne sait pas voler, disparu au XVIIe siècle.
Donc, pour répondre à votre question, je pense qu'il n’y a pas d'obstacle juridique autre que le respect de la constitution. Il n'est pas interdit d'introduire des règles symboliques, d'associer les populations locales à la gestion d’espaces naturels, etc.

Et donc, ce fut une satisfaction de mettre en œuvre ce code de l'environnement qui associe très étroitement les autorités coutumières.

VD : Je pense à la gestion des espèces exotiques envahissantes qui sont considérées comme une des cinq causes importantes de l'érosion de la biodiversité. Les codes de l'environnement d'inspiration française imposent le plus souvent l'éradication de ces espèces exotiques.

Certaines, considérées par les scientifiques comme envahissantes, ont été apprivoisées en quelque sorte par les populations locales. Parmi elles, des animaux sont même devenus des totems. Il n'était donc pas question de leur imposer d’éradiquer des espèces totémiques.  On a donc introduit dans le code de l'environnement des Îles Loyauté l'idée qu'il y aurait une gestion contrôlée de ces espèces exotiques envahissantes. Charge aux autorités des clans et tribus kanaks de veiller à ce qu'il n'y ait pas prolifération de cette espèce ailleurs que sur leur périmètre pour ne pas nuire à la biodiversité endémique. C'est un des exemples d’adaptation du droit. 

L’autre exemple pourrait inspirer bien des communes de l’Hexagone. La Province a mis en place justement ce qu'on appelle le principe de subsidiarité. C'est-à-dire qu’au lieu d'édicter toutes les règles dans le code, elle s'en remet aux autorités locales coutumières pour gérer l’environnement dans l'objectif de préserver la biodiversité. Donc, on fait confiance aux populations qui ont géré depuis 3000 ans leur environnement. C'est un dialogue instauré entre la Province en tant que collectivité administrative de la République française et les autorités coutumières qui peuvent être un conseil de grands chefs de telle ou telle île des Loyautés. C'est vraiment une délégation qui est mise en place : c'est la province qui va fixer les règles et les sanctions, la saisine du procureur, etc. Il y a donc une vraie cogestion, un vrai partenariat, entre autorités coutumières et collectivité provinciale.

Encore, une fois, cela peut être une source d’inspiration pour l’ensemble du droit français.

Victor David, juriste, spécialiste du droit de la nature, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), membre de l'Institut méditerranéen de Biodiversité et d'Écologie (IMBE/CNRS-AMU). Docteur en Droit et sciences sociales de l’EHESS, Paris.

Bibliographie

Article « Exemple d’initiatives locales : Îles Loyauté, Nouvelle-Calédonie », dans Droits de la Nature, ouvrage collectif, AFD, 2024, Paris.

Article en ligne, IRD, « Lancement du projet MerMed : des droits pour la mer Méditerranée »

https://www.ird.fr/lancement-du-projet-mermed-des-droits-pour-la-mer-mediterranee

Interview en ligne dans la revue Le Point, avril 2024 :
« Victor David, l’homme qui veut donner un statut juridique à la mer Méditerranée »

https://www.lepoint.fr/environnement/victor-david-l-homme-qui-veut-donner-un-statut-juridique-a-la-mer-mediterranee-27-04-2024-2558831_1927.php

À partir de cette conversation, l’IA a généré un flot d’illustration. Stefan Muntaner l’a nourri avec les données éditoriales et a guidé la dimension esthétique. Chaque illustration devient ainsi une œuvre d’art unique à travers un NFT.