Face à la crise mondiale climatique, à la chute de la biodiversité, à la pollution anthropique et aux projets industriels de plus en plus destructeurs, la reconnaissance d’un droit de la Nature constitue un des leviers nécessaires pour engager les États et les communautés d’acteurs, privés et publics, vers la transition écologique. Depuis une cinquantaine d’années des initiatives locales, nationales ou internationales, ont fait peu à peu avancer ce droit.
Entretien de Bernard Mossé responsable scientifique de l’association NEEDE Méditerranée, avec Victor David, juriste, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
# 1 Droits de la Nature : un rapide historique
Le bassin méditerranéen est un des espaces les plus impactés au monde par cette crise écologique. Sa protection nécessite une mobilisation de tous les acteurs impliqués et des populations concernées. Fort de son expérience en Nouvelle-Calédonie où il a participé à l’émergence d’un droit de la Nature respectueux à la fois des coutumes locales et du droit français, Victor David, juriste du droit de l’environnement, milite pour élever la mer Méditerranée au statut d’entité juridique afin de mieux la protéger et de la défendre juridiquement.
Il a lancé en 2022 auprès des Nations Unies une étude de faisabilité sur la reconnaissance de la Méditerranée en tant que personne juridique.
Bernard Mossé : Victor David, pouvez-vous présenter et présenter vos recherches ?
Victor David : Je suis chargé de recherche à l'Institut de recherche pour le Développement (IRD) et membre de l'Institut méditerranéen de Biodiversité et d'Écologie (IMBE CNRS/AMU). Je suis aujourd’hui chercheur en droit de l'environnement et du développement durable après avoir été juriste dans l'administration de la recherche, dans une première vie. En 2010, j'ai en effet décidé de changer de métier et d’entamer une thèse de doctorat.
Elle portait sur le droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie où j’étais en poste. Il s’agissait de savoir si le droit de l'environnement applicable et appliqué en Calédonie correspondait aux Calédoniens, et aux autochtones en particulier, puisqu'en le droit y est d'inspiration française. Ce qui m’interpellait, c’était la non-prise en compte de la culture et de la vision du monde des Kanaks, et plus généralement des Océaniens, dans le droit de l'environnement.
Et c'est ainsi que j'ai pris connaissance de l'émergence de cette dynamique autour des droits de la nature.
Partie d'Amérique latine, notamment en Équateur qui, marqué par les ravages écologiques du géant pétrolier Texaco Chevron, est le premier pays à inscrire dans sa constitution, en 2008, le plein respect de « La Nature » dite aussi « Pacha Mama ». Puis arrivée en Nouvelle-Zélande, avec la loi pour les droits protégeant le fleuve Whanganui, en 2017, de sa source à son versant, « tout indivisible et vivant… incorporant ses éléments physiques et métaphysiques », en accord avec les principes de vie des communautés maories locales.
Avec cette nouvelle façon d'aborder le « droit de l'environnement », pour l’exprimer selon la terminologie française, on a toute une série de domaines qui est concernée. Bien sûr, le droit de la protection des espèces et des espaces vivants, mais aussi le droit concernant les pollutions, les nuisances, les déchets, ou les espèces envahissantes. Cela inclut aussi les règles d'urbanisme en lien avec la protection de la nature. C’est important de le souligner parce que le droit de l’environnement ne concerne pas directement que la Nature mais aussi les pollutions industrielles, chimiques ou les pesticides, etc.
Les communautés humaines sur toute la planète font partie de ce droit à l’environnement, ce qui lui donne effectivement une dimension internationale.
En France, il existe quelques textes historiques anciens, mais on s'accorde à dire que c'est depuis une cinquantaine d'années, c'est-à-dire depuis la conférence de Stockholm de 1972, qu’a commencé à émerger l’idée de ce droit.
En France, nous n’avons un code de l'environnement que depuis 2000 ! Ce n'est pas non plus très vieux. Cela fait quand même bientôt 25 ans…
C’est dans ce contexte que s’inscrit mon travail qui a consisté à accompagner une des provinces de Nouvelle-Calédonie à écrire son droit de l'environnement en conformité avec le droit de la République française mais dans la marge de manœuvre que permet son statut institutionnel qui autorise un partage de souveraineté et une autonomie partielle.
C'était ça l’enjeu et sa complexité…