Neve Shalom/Wahat as-Salam est un village unique en son genre, situé entre Jérusalem et Tel-Aviv. Israéliens et Palestiniens ont choisi d’y vivre ensemble et proposent une alternative pour la paix qui fonctionne réellement. Créé en 1974 par le frère Bruno Hussar, cet oasis de paix a notamment reçu la médaille Buber-Rosenzweig, en 1987, et le prix Niwano pour la paix, en 1993.
Ici, le mode de vie est très différent de celui du reste des villes israéliennes. Les quelque 300 habitants de Neve Shalom vivent en harmonie et prônent l’égalité absolue : 50% de Juifs et 50% d’Arabes se partagent les terres qui appartenaient à l’époque au monastère de Latroun du village. Ils forment ainsi une seule communauté et partagent les mêmes valeurs basées sur la coexistence, la vie commune, le respect et l’envie de connaître l’autre. Aucune mosquée ni synagogue à l’horizon, la religion fait partie du domaine privé, mais la plupart des citoyens sont laïcs. Seul un centre spirituel a été érigé, où les habitants peuvent tant y prier qu’y pratiquer la méditation et le yoga.
300 familles sur liste d’attente
Le village attire beaucoup de personnes qui croient à la paix et souhaitent s’y installer, mais la sélection est dure. Les habitants sont choisis par un comité d’admission qui évalue leur compatibilité avec les valeurs et l’esprit du village. Plus de 300 familles sont actuellement sur liste d’attente, car les places sont chères, en raison du manque de terrains.

Un accent particulier est mis sur l’éducation. À Neve Shalom, dès la crèche et jusqu’au collège, les élèves juifs et arabes sont scolarisés dans les mêmes classes, contrairement à l’enseignement en Israël qui se fait majoritairement dans des établissements séparés. Les élèves apprennent aussi bien l’hébreu que l’arabe, l’anglais, mais aussi la culture, la littérature et les traditions mutuelles. 80% des enfants qui étudient à Neve Shalom habitent dans les localités des alentours, dont Lod, Ramle ou Abu Gosh. Les élèves doivent ensuite poursuivre leur parcours scolaire de la 6e à la terminale, hors du village.
“À l’école, les enfants apprennent dès leur plus jeune âge, les fêtes, la langue et la culture de l’autre, le but est qu’ils soient totalement bilingues au final. Leur intégration dans la société est ensuite beaucoup plus simple, car ils ont reçu une éducation complète qui leur permet d’être à l’aise tant dans le milieu juif qu’arabe”, précise Nir Sharon, CEO des établissements scolaires de Neve Shalom et habitant du village depuis 2002.
Un modèle de vivre-ensemble différent des villes mixtes
“Les gens qui ont établi ce village ont cru à une option différente que celles offertes par le gouvernement. Ils avaient un idéal qu’ils ont voulu appliquer à la réalité et ont ensuite été rejoints par des citoyens venus de tout le pays. Nous organisons des repas de fête pour l’Iftar lors du Ramadan, ou des événements autour de la piscine et des dialogues. Les décisions concernant le village se prennent ensemble, certaines personnes font même partie d’associations pour la paix avec lesquelles on travaille, explique Nir. On pourrait appliquer des préceptes de Neve Shalom à d’autres endroits en Israël, mais le but n’est pas de dupliquer le village”.
Contrairement aux villes mixtes israéliennes comme Yafo, Haifa ou Acre, où Juifs et Arabes ont été contraints de cohabiter, à Neve Shalom, les gens ont choisi de vivre ensemble, avec la profonde conviction qu’une paix durable est possible. “Dans les villes mixtes, chacun a son quartier. Si les Juifs et les Arabes ne veulent pas se parler ils le peuvent, ils ont le choix. Ici c’est impossible, car les maisons juives et arabes sont collées, on vit tous dans le même périmètre”, observe Nir.
Chaque année, le village attire les touristes du monde entier et des tours sont organisés pour présenter l’idéologie et l’histoire du village. Ainsi que pour rencontrer les personnalités phares de Neve Shalom.
L'École pour la paix
Neve Shalom accueille aussi l'École pour la Paix (SFP – School for peace). Elle agit comme un organisme de soutien et encadre les initiatives des participants. Créée en 1979 en tant que premier établissement d’enseignement en Israël promouvant un changement à grande échelle vers la paix et des relations plus égalitaires et justes entre Arabes et Juifs , elle organise aussi des cours pour les écologistes comme sur le leadership dans les villes mixtes. Un programme a été par ailleurs mis en place pour former 120 futurs politiciens, israéliens et palestiniens, afin qu'ils deviennent les dirigeants qui apporteront la paix et la justice entre les deux peuples.

À travers des ateliers, des programmes de formation et des projets spéciaux, la SFP sensibilise les participants au conflit et à leur rôle dans celui-ci, leur permettant d’assumer la responsabilité de changer les relations actuelles entre Juifs et Palestiniens.
“Nous organisons des programmes académiques dans les universités, des dialogues, et des cours pour les personnes qui ont pour mission de promouvoir plus d’égalité et de justice en Israël et dans la région. Le fait que les gens soient de la même couleur politique ne veut pas dire qu’ils ont des aspirations similaires, car il y a beaucoup de différences entre Juifs et Arabes. Mais nous pensons que la connaissance et le dialogue doivent se joindre à des actions pour construire la paix”, affirme Roee Silberberg, directeur de l'École pour la paix.
L’impact du 7 octobre
Le choc et l’effroi ressentis suite aux atrocités commises par le Hamas en Israël le 7 octobre ont eu un impact sans précédent dans l’ensemble du pays, y compris à Neve Shalom. Les habitants du village ont dû faire face aux réactions d’un côté comme de l’autre et trouver les moyens de maintenir l’entente malgré la réalité de la guerre.
“Les rôles se sont inversés, car normalement les Palestiniens sont les victimes, et là, c’est la première fois depuis 1973 que les Juifs ont eu peur d’exister en tant que nation, et ça change les perspectives, ça change tout. Les Arabes ont condamné les actions du Hamas et les Juifs ont partagé leurs peurs, l’émotion nous a réunis. Mais l’impact est là,” analyse Nir.
“Ici, on vit en direct les réactions des Arabes par rapport à la guerre à Gaza par exemple, et les réactions des Juifs après le 7 octobre. Après une attaque comme celle-là, les gens par réflexe veulent se consoler en se rapprochant de leurs semblables, c'est humain. Ici, après le début de la guerre, on a dû faire face à un défi qui ne s’est posé nulle part ailleurs : comprendre ce que l’on attend de l’autre et ce que lui attend de nous, ce sont des questions propres au village”, confie Nir.
Selon Roee, depuis le 7 octobre “il est clair pour tout le monde qu’il n'y aura pas d’avenir dans ce pays sans accord. On ne peut pas vivre éternellement au côté du conflit sans le résoudre, cela ne marche plus. Je pense qu’une majorité considère qu’il faut trouver une solution rapidement qui passe par un accord mutuel entre Israéliens et Palestiniens”.
En juin dernier, un dialogue arabo-juif sur le thème de la libération a été organisé sur deux jours par l'École pour la paix. Le thème de la libération a révélé des peurs profondes, jamais abordées auparavant. Durant les sessions de dialogues, les Juifs ont livré leurs inquiétudes face à la perte de leur sécurité personnelle et à la violence du massacre. Parallèlement, les Palestiniens ont affirmé leur crainte de l’anéantissement de Gaza.
Le chemin est encore semé d’embûches vers une paix totale, mais Neve Shalom donne une once d’espoir dans un pays où désormais tout est incertain.
